À la mort de sa mère, un petit garçon indien part pour une longue errance. De Varanasi jusqu’aux sources du Gange, ses rencontres avec une nonne bouddhiste, un père de famille bourru, un pèlerin mystique amateur de psychotropes et une jeune musicienne lui enseigneront la résilience, la tolérance, la spiritualité et la poésie du monde.
Des métropoles indiennes en pleine mutation à la pureté des vallées himalayennes, ce roman, dont le personnage principal est le fleuve sacré, se présente comme une invitation au rêve, à l’évasion et à la réflexion sur ce qui nous unit à la Nature et aux Hommes.
« Une légende raconte que dans les hauteurs du lointain Himalaya existe une vallée tapissée de fleurs. Dans cette vallée vit un saint homme qui a atteint la délivrance spirituelle, la renonciation parfaite et la connaissance ultime. »
Fanny Laurent a grandi à Meyzieu et fait ses études à Lille. À 19 ans, elle part en échange universitaire à Delhi et tombe amoureuse de l’Inde. Envoûtée, elle voyage à travers le pays pendant près d’un an et demi, parcourt des kilomètres en train, visionne des heures de films Bollywood et essaie tant bien que mal d’apprendre l’hindi. Dix ans plus tard, en retrouvant ses carnets de notes et de croquis, elle décide de transposer son expérience et ses souvenirs à l’écrit : c’est ainsi que naît Ganga.
Ganga – Rencontres le long du fleuve sacré
Roman de Fanny Laurent
1
La brume matinale se levait sur le Gange lorsque le cortège rejoignit le Manikarnika ghat.
On distinguait vaguement la délicatesse des balcons ouvragés des palais et la dentelle des cénotaphes finement sculptés. Le brouillard nimbait les rives, floutait les frontières entre réel et rêve. Tout était comme baigné d’un nuage bleuté. C’était l’heure où la ville, encore endormie, ne s’était pas tout à fait parée. Les dômes surplombés de lotus renversés se confondaient avec le ciel, et les statuettes ornant les façades des temples restaient discrètement en retrait.
Plus tard, les couleurs s’aviveraient : le blanc de la chaux recouvrant les remparts flamboierait, tranchant avec les mille tons pastel des maisonnettes cubiques, et les orangés acides des autels qui abritaient linga et yoni. Sur des tourelles ocre surplombant le fleuve apparaîtraient ici un Rama piétinant le démon Ravana, là un Ganesh aux yeux aimables. Le dieu à tête d’éléphant exhiberait son ventre proéminent, comme un pied de nez aux pieux ascètes qui n’osaient se souvenir de la saveur des gulab jamun gorgées de sirop, la sucrerie favorite de la divinité. Le Lali ghat se tapisserait de saris bariolés, étalés sur les marches, tandis que d’autres nippes flotteraient sur des étendoirs de fortune ; à Varanasi, le linge n’en finissait jamais de sécher. Encore plus tard, les habitants se presseraient tous le long des ghats, se faufileraient dans le moindre interstice leur permettant d’accéder au fleuve sacré, dégringolant les marches qui plongeaient directement dans le Gange.
Il en allait ainsi chaque matin : la ville la plus sainte d’Inde accueillait des milliers de dévots hindous qui accomplissaient leurs ablutions quotidiennes dans l’eau trouble la plus pure au monde. Immergés, ils lavaient leur âme de tous ses péchés et touchaient du doigt la sagesse divine charriée depuis des millénaires par la déesse Ganga. Se baignaient enfants et animaux, tandis que les hommes, dont les vêtements de peau peinaient à couvrir la bedaine, mâchonnaient des bâtonnets de siwak pour se laver les dents. Les saris des femmes flottaient autour d’elles comme des flaques colorées tachant l’eau brune et lustrale. Sur les rives, les adolescents s’entraînaient au criquet, sans parvenir à troubler la méditation des imperturbables sadhu barbus, immobiles devant l’agitation. Disciples et gourous puisaient l’inspiration dans cette atmosphère pétrie de ferveur, assis en tailleur sur les terrasses surplombant les flots lourds, sous l’œil nonchalant des vaches sacrées. Çà et là, un arbuste perçait le béton, rare rappel d’une nature oubliée, domptée lorsque la ville fut bâtie, il y a si longtemps.
Mais pour l’heure, le cortège progressait au cœur d’un labyrinthe de ruelles vides. Il était composé de quatre hommes qui portaient un brancard de fortune, d’un petit garçon ébouriffé à l’air absent, et de quelques voisines qui caquetaient dans la fraîcheur de l’aube. C’était une bien pauvre procession : celle-ci aurait dû se dérouler en fanfare, avec des membres de la famille rassemblés pour l’évènement, sous les chants et les incantations de brahmanes. Là, les quelques guirlandes de fleurs jaune et orange peinaient à recouvrir le brancard. Les « Ram naam satya hai » répétés des porteurs d’une voix monocorde parvenaient à peine à troubler le calme qui régnait sur le chemin menant au ghat.
Comme si la vérité de Rama avait quitté ce corps parce qu’il avait cessé de respirer, pensa le petit garçon. Est-ce qu’avec son souffle, il avait également perdu son nom, et tout ce qui faisait de lui un être humain ? La vie se résumait-elle donc à un mouvement involontaire de la cage thoracique ?
Pourtant, à travers le pays, il arrivait que l’on garde ses morts près de soi le plus longtemps possible. À Goa, la dépouille de saint François Xavier était exhumée tous les dix ans, éternel compagnon des chrétiens de sa paroisse ; tandis qu’à Leh, les funérailles n’avaient lieu que quarante-neuf jours après que le défunt avait rendu son dernier soupir, ses proches avaient alors le temps d’adresser un dernier salut à l’âme en route pour l’autre monde. Le petit garçon ignorait tout cela : il savait simplement qu’à Varanasi, la mort, élément central autour duquel la vie des habitants tournait, était omniprésente. Mais il n’avait jamais perdu un être cher auparavant ; aujourd’hui, c’était Amma, sa mère, que l’on transportait pour le grand voyage.
***
L’un des porteurs, en tournant à gauche pour emprunter l’escalier descendant jusqu’au Manikarnika ghat, bouscula une vieille dame dont la pulpe semblait avoir déserté le visage. Enveloppée d’un tissu bien trop large, une multitude de plis s’affaissant sur ses membres secs, elle ne parut pas remarquer cette interruption. Courbée devant une statue grossière du dieu Shiva protégée par des volets grillagés, elle garda les mains jointes. Dans cette ville millénaire, la plus ancienne au monde, rien ne troublait l’ordre établi ni les rituels dont l’histoire se perdait à travers les âges. Des silhouettes frêles priaient nuit et jour pour le salut de leurs âmes, entonnant une puja sans début ni fin.
Le cortège descendit les marches d’un pas mesuré et dépassa sans le voir le puits creusé par Shiva en quête de la boucle d’oreille que la belle déesse Parvati avait laissé choir là. Insensible au romantisme de l’histoire, une chèvre curieusement vêtue d’une chemise à carreaux bleue chancelait en haut de l’escalier qui menait au brasier. L’air déjà opaque s’épaissit, teinté par les dernières fumerolles noirâtres émanant d’un tas de bois haut de deux mètres, encore chaud, en bas des marches qui s’enfonçaient dans le Gange.
Un monsieur entre deux âges, accroupi sur le seuil d’une cahutte peinte en rose vif sur laquelle était inscrit en lettres appliquées « Tea Shop », servait ses premiers clients d’une louche de chai trop infusé et sucré. Ceux‑ci le consommeraient dans de petites tasses en aluminium devant l’échoppe, ou bien emporteraient dans des sachets en plastique le breuvage poivré. Le chai-wallah assis sur ses talons comme au fond d’un fauteuil le plus douillet suivit d’un œil vide le brancard chancelant, à peine troublé par la proximité du cadavre ; en effet, la mort flottait partout dans l’air vicié de Varanasi, elle était une compagnie dont on s’accommodait, en particulier sur cette portion de la rive qui s’ouvrait sur le plus large site de crémation du pays.
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