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Le fleuve Chao Praya si large dans la Capitale n’a pas fini de porter des hordes de bateaux et de barques dans une cacophonie toute locale ; contenir un trafic dense de péniches, offrir des balades paisibles à des touristes au gré des bateaux panoramiques, permettre à des hydrojets bruyants de couper le trajet de bacs que l’on emprunte sans compter, pour aller d’une rive à l’autre.
Mais, en secret, ce fleuve se prépare à recevoir annuellement une procession de barges royales qu’il conserve dans ses méandres, au sein d’un musée bien intime. Là, quelques exemplaires d’une flotte antique se laissent découvrir ; à peine quatre ou cinq navires mis en cale sèche le temps nécessaire pour restaurer tant de décorations, sculptures et ornements qui enjolivent chacune des barges. Visite privée dans ce dock de luxe qui se veut refuge pour l’une des cinquante-deux dernières barges : peut-être le privilège de la voir, cette Narai Song Suban que le roi Rama IX fit construire en 1994.
On accède de loin à ces vaisseaux bien fragiles qui seront remis à l’eau et qui reprendront vie sous les coups d’aviron des rameurs, à l’occasion d’un événement rare, religieux et culturel organisé avec goût et finesse comme il l’est depuis plus de sept cents ans. Si l’ordonnance amène à une telle cérémonie, plus de deux cents barreurs accompagnés du rythme des tambours passeront devant les temples de Wat Pho, Wat Arun et le Grand Palais. Dans ce sillage cadencé, la formation aura dans ses rangs les navires en tek, laque et or de la famille royale, protégés par des barges guerrières avec leurs canons, gravures et symboles sacrés apposés pour ne pas déplaire aux esprits. La parade s’entoure de barges d’escorte plus sobres mais qui brilleront tout autant durant le défilé.
Il faudra trouver le bon quai, la meilleure tribune, la bonne hauteur pour voir passer cette procession par-dessus une foule immense ; escalader dans la pénombre quelques murets ou se faire porter sur des épaules et scruter sur le fleuve l’arrivée en catimini de ces barges. Il fera presque nuit, toute lumière de la ville éteinte, pour laisser approcher les navires au son des tambours et des chants et on les verra venir de loin sans artifice, car ils scintilleront à la lueur de milliers de chandelles ou de lanternes postées sur les ponts, rambardes et vergues de chaque bateau.
Ces minuscules mais bien solides flammes vacillantes, l’une après l’autre, forment par leur agencement méticuleux des têtes de dragon, des corps d’oiseaux ou des messages à l’honneur du Roi : autant de tableaux sonores et multicolores passant solennellement devant des quais bondés.
Chaque barge royale fera rêver de tant d’histoires, de légendes au fil des vagues dans une longue et scintillante fresque fluviale ; un ou deux passages, pas plus ; identifier celle décorée plus spécifiquement pour l’occasion, reconnaître chaque mosaïque de lumière et saluer l’ensemble des personnages et représentants.
Si absent à ce rendez-vous, sans même avoir aperçu quelques jours avant ces barges royales lors de répétitions quasi clandestines, alors, pendant la traversée inévitable en bateau long-tail des méandres d’un marché flottant attenant, imposer à son guide une halte au musée maritime.
Jean Maury
Version révisée par les éditions Gope, janvier 2017
Texte extrait de Sous le ventre de l’éléphant blanc qui peut être acheté ici
© illustration : shankar s., 2008
Maison d’édition indépendante ayant pour vocation de faire découvrir la Thaïlande, Hong Kong, la Malaisie, l'Indonésie, le Cambodge... par le livre