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Bangkok - Se saupoudrer de talc parfumé

TEMPS DE LECTURE : 2 minutes.


Lors de la saison des pluies, on prend conscience de toute la signification d’un taux fortement élevé d’humidité et d’une température qui ne descend que rarement en dessous des 30°C. La nature est ainsi faite, cela permet d’apprécier celle plus tempérée d’un doux mais encore chaud hiver thaïlandais. Mais, petits plaisirs d’un pays de soleil et d’eau (parfois trop), il est possible de se laver allègrement plusieurs fois par jour. On oublie baignoire, douche ou spa, car c’est uniquement à l’ancienne que soudainement la chaleur se dissipe. Depuis la salle d’eau, à partir d’une grande jarre en terre ou d’une cuve carrelée, on puise de l’eau fraîche avec une casserole en plastique pour, après avoir pris une bonne inspiration et fermé les yeux, s’asperger le visage d’un coup vigoureux. Le corps, de la tête aux pieds, grelottera quelques secondes pour réclamer aussitôt une autre vague stimulante. Pas le temps d’avoir froid, on se savonne, on se rince plusieurs fois à coups de seau ; on sent en soi une vie qui frissonne et ce cœur qui palpite plus intensément à chaque flot d’eau froide. Par masochisme, ou simple jeu, une dernière ondée qui, malgré tout, en réclame encore et encore une autre. La cuve finit par se vider, il est temps d’en terminer, de rouvrir le robinet laissant filer de l’eau pour de prochaines aspersions. Enfin, se sécher tant bien que mal, du moins essayer dans cette sorte de hammam improvisé.

Alors, comme le font tous les Thaïlandais, habitués à ce rituel, on se doit de récupérer la boîte métallique ou le petit flacon rose de talc qui traîne sur une mince étagère. On l’ouvre, on le renverse doucement, car on n’ose en mettre trop dans la paume sans en verser la moitié à côté. Une quantité incontrôlée de poudre bascule dans le creux de la main. Fini l’odeur de shampoing ou de savon, place à celle douce et parfumée des moments d’innocence. Pour se badigeonner le corps, on étale le talc comme on peut car cela fait inévitablement de petits grumeaux entre les doigts. Tant pis, on vide le flacon d’un coup sur le torse et les épaules, encore une bonne partie à côté. Pendant un court instant, ce talc aura flotté dans toute la pièce formant une brume aromatisée : on sent la rose, la lavande, ou peu importe, ce sont là quelques secondes d’un mirage qui laisseront des traces sur la peau révélant une overdose de poudre blanche. Coup de fraîcheur puis de sécheresse par l’alchimie des composants de ce talc déshydratant, séchant et embaumant, le petit monde autour de nous devient léger, aérien, divin même.

Les cheveux en bataille, une serviette autour de la taille, une seconde sur les épaules, on emprunte une paire de tongs pour fièrement quitter cette salle d’eau. Rafraîchi, détendu, maculé de poudre, on ressort de ce combat contre la nature en ayant désormais la nette impression qu’il fait vraiment moins chaud.

Jean Maury
Version révisée par les éditions Gope, janvier 2017

Texte extrait de Sous le ventre de l’éléphant blanc qui peut être acheté ici.

© illustration : Snake Brand – The British Dispensary (L.P.) Co., Ltd – Thaïlande

Maison d’édition indépendante ayant pour vocation de faire découvrir la Thaïlande, Hong Kong, la Malaisie, l'Indonésie, le Cambodge... par le livre

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