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Bangkok - Emporter son café boran

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Il existe assurément le style occidental d’un café grande ou tall que l’on vous sert dans un mug estampillé par cette chaîne internationale vous séduisant grâce à d’alléchants cookies, muffins et autres scones parfumés. Et l’on se laissera aller vers cet excès gourmand en prenant une pause trop longue ; autant s’affaisser sur le canapé, feuilleter les pages politiques du Bangkok Post et pianoter un mail anodin sur son smartphone : le mal est fait !

Le café que l’on voulait sobre, fort, authentique et autant que possible peu onéreux ; cette boisson-là, ce petit breuvage véritable, il faut aller le chercher ailleurs, loin des grandes avenues et des department stores ; on le déniche au coin d’une ruelle, dans le dédale d’un marché couvert ou lors du passage impromptu d’un marchand ambulant.

Pour commander ce café traditionnel et joliment appelé kafè boran, on se doit de prononcer en thaï et dans les tons kafè neung thoung sans oublier la formule de politesse Khrap ou Khaa, honorant ainsi le tenancier. Pour quelques bahts à peine, il se fera un plaisir de servir à un client VIP un doux café sans l’embarras d’un quelconque gâteau absolument absent de sa carte. Un café traditionnel, 100 % local, souvent glacé, que l’on emportera servi avec attention dans une petite poche en plastique après l’étrange tour de passe-passe auquel l’adroit vendeur se sera livré devant nos yeux. Car pour distiller une énième fois un noir concentré de café dans une marmite d’eau bouillante au travers d’un long filtre en toile en forme de chaussette, ce n’est pas des tuyauteries d’un percolateur que ce jus-là sortira, mais de la délicate manipulation de tasses dépareillées, d’ustensiles moyenâgeux, de grains broyés et de conserves de lait concentré, sans oublier l’énorme bac isotherme bleu, infinie réserve de glace ; le tout dans l’étroitesse d’un stand minuscule.

Il y en aura pour le nez et les papilles. L’odeur du café, d’abord forte, se sera fondue à celle du lait sucré ; la poignée de glaçons, qui sous le chaud mélange craquera, atténuera à peine le velouté. Une note d’un arabica Doi Chaang pas si relevé que cela, une touche de caramel et d’épices venant piquer la langue : ce café boran aura le goût des hauts plateaux du Nord, il arrivera à point, bien frappé. Et quand ce café aux couleurs locales se présentera à votre bouche, ce sera en tenant par le petit doigt un élastique qui supporte en yo-yo cette bourse et au travers d’une paille qu’il faudra le siroter. Lors des dernières aspirations, on tentera d’extraire des cubes de glace disloqués une ultime goutte noyée dans ce reste de marc de café.

Le vendeur s’est déjà éclipsé, la température remonte progressivement pour atteindre de nouveau 35°C ; profiter sans scrupules de cet instant ; alors, sous prétexte de se débarrasser d’autres pièces abandonnées dans le porte-monnaie, on se rapproche spontanément de la ruelle voisine à la recherche d’un autre café boran.

Jean Maury
Version révisée par les éditions Gope, janvier 2017

© illustration drburtoni, 2013

Maison d’édition indépendante ayant pour vocation de faire découvrir la Thaïlande, Hong Kong, la Malaisie, l'Indonésie, le Cambodge... par le livre

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