Douze chroniques pour tenter de traduire quelques lignes fortes de ce pays insaisissable : l’Inde. Si on croit l’approcher, on ne fait que l’effleurer. Il en reste un goût, une senteur, une lumière, une musique mais peu de certitudes.
Douze intrusions dans une réalité indienne diverse où l’émerveillement côtoie l’effroi. Peu de pays suscitent autant d’émotions contradictoires et fortes. Même après son départ, ce monde continue de hanter le visiteur qui y aurait goûté, ne serait-ce qu’une fois.
Douze échappées pour suivre ce qui fait de l’Inde un pays à nul autre pareil, aussi bien par ses infimes détails que par son histoire millénaire.
A la suite de Malaisie, un autre regard écrit à deux mains avec Serge Jardin et après trois années passées à Delhi, l’auteure propose une approche sensible et sélective de la société indienne.
Sylvie Gradeler est diplômée en droit et en histoire de l’art. Après un premier séjour à New York, elle pose ses bagages en Malaisie pendant trois ans, découvre ses différentes cultures et collabore à la création d’un groupe de guides volontaires au musée National de Kuala Lumpur.
Après quelques années à Paris, elle s’installe à New Delhi et sillonne le continent indien.
Elle revient en France, riche de trois années de découvertes et d’impressions fortes.
La minute indienne – Petites chroniques
Récits de Sylvie Gradeler
DE MON BALCON
Le voyage immobile… Un poste d’observation. Un regard accueillant et les histoires apparaissent, se dévoilent et se déploient au fil des heures et des jours.
En Inde, la rue est un théâtre où les passants glissent d’un point à un autre, un lieu de passage utile permettant d’atteindre un but défini ou non, une scène éphémère où les acteurs anonymes ne sont que des figurants. Monde sans cesse mouvant en flots continus et convenus. Partition sans pause ni soupir.
En Inde, la rue palpite, soupire, gesticule. Petit condensé de vie avec ses bonheurs, ses malheurs. Maison sans toit où les jours s’écoulent suivant un rituel dont les membres connaissent chaque geste. Dès les premières lueurs, pour déjouer les assauts de la canicule, les « marcheurs de l’aube » surgissent dans les parcs et entament leur ronde. En sari et basket, solitaire ou entre amis, parfois téléphone au poing, ils tournent et retournent dans ce rêve de nature, d’exercice au grand air. Puis, les livreurs de journaux à vélo commencent leur tournée livrant Times of India ou Hindustan Times, indispensables pour accompagner le premier chai* de la journée. Une frêle silhouette féminine en sari vert et rouge soulève dans le bruissement de son balai la poussière et les feuilles tombées la veille sur l’asphalte. Peut commencer alors le défilé des « cris » de Delhi, les wallas : vendeurs ambulants de fruits et légumes, de tapis, de balais, de brosses et éponges, de plantes vertes, ramasseurs de papiers, de cartons… Puis, les minibus klaxonnent et les écoliers en costume s’y enfournent pour rejoindre l’école. C’est l’heure où la vie bat son plein. On se connaît, on se salue, on s’interpelle, on s’observe. L’anonymat est suspect.
Aux heures les plus chaudes de l’après-midi, la vie se retire, suspend son souffle. L’air immobile écrase toute volonté. Rien ne vibre, ne bouge excepté quelques passages de voitures. Tout combat devient inutile, il est perdu d’avance. Alors, la langueur irrésistible triomphe. Il faut attendre le soir pour retrouver le geste, la marche, l’envie de se retrouver. On achète les légumes ou les fruits qu’on avait oubliés de prendre le matin, on ramène des gâteaux au lait ou des gulams jamul du Bengal Sweet Palace, confiseur au bout de la rue. On en profite pour rafraîchir sa coupe de cheveux chez le coiffeur qui a installé son fauteuil à l’angle de la rue, en plein air, entre le fleuriste et le cordonnier qui, tard dans la nuit, recouvriront leur mince étal d’une simple bâche. La rue, une respiration profonde qui se dilate et se contracte au rythme des heures qui passent. […]
“LOST IN TRANSLATION”
Lire un quotidien quand on vit dans un pays étranger est sans doute le plus sûr moyen de comprendre toutes les facettes de sa société. Au milieu des faits divers, des nouvelles économiques et sportives se niche la perle du dimanche matin : les annonces matrimoniales !
Café au poing, lunettes sur le nez… on sait que l’on va passer un bon moment.
Honneur aux dames, la section commence par « Wanted brides » que l’on pourrait traduire par « Recherche d’épouses ». Cela évoque les avis de recherche des criminels dans les bons vieux westerns américains…
La section « Wanted grooms » ou « Recherches de maris » n’a rien à envier à la précédente.
Et là, avouons-le, les choses sont claires dès le début puisque les annonces sont classées par groupes intitulés
« Caste », « Communauté », « Profession », « Religion »,
« Langue »…
Pas d’erreur possible, on choisit son camp.
Voyons voir de plus près la première section : « Castes ». Tiens, le système des castes n’a-t-il pas été aboli en 1947 ?
« Brahmin », « Kayastha », « Khatri »…
La catégorie « Communauté » échappe encore plus à notre compréhension d’étrangers : « Agrawal », « Rajput »… Même avec beaucoup de bonne volonté, il est malaisé d’apprécier au premier coup d’œil les enjeux de cette classification. Ces mots ne sont que les arbres qui cachent les racines les plus profondes de la structure de la société indienne.
Les répartitions par profession, religion et langue semblent à côté parfaitement évidentes et prêtent parfois à sourire : « Recherche une jeune femme travaillant dans le domaine médical pour un docteur ophtalmologue dans un hôpital réputé de Delhi (les deux parents étant médecins dans un hôpital multidisciplinaire ayant une excellente réputation) ». On ne sait plus si on veut que la jeune fille épouse le prétendant pour ses parents ou pour la renommée de l’hôpital ! […]
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Dix-huit autres nouvelles d’auteurs khmers donnant un aperçu du Cambodge contemporain.
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