Livres ayant pour thème ou cadre l'Asie du Sud-Est

KL, complots et caducées

Disponible
Hélène Honnorat
Roman
13 x 19 cm
190 pages
ISBN 978-2-494118-02-7
20 €
frais de port inclus (France et  international)
Expédié sous 4 à 5 jours

Résumé

Kuala Lumpur, Malaisie, septembre 1998. Coup de tonnerre : le Premier ministre, médecin et politicien, accuse soudain son dauphin – le numéro deux du gouvernement – de corruption, de trahison, d’abus de pouvoir et d’homosexualité, dans un pays où celle-ci est un crime puni sans pitié.

Va-t-il être immédiatement jeté en prison ? Quelques obstacles surgissent. Celui qui était l’héritier désigné reste immensément populaire, jusque dans les communautés chinoise et indienne de Malaisie. La crise coïncide avec les seizièmes Jeux du Commonwealth. La reine d’Angleterre sera présente !

Pendant ce temps, Caroline et son équipe accueillent un congrès de scientifiques dont le thème, « Le sommeil », rassemble des médecins de toutes spécialités et nationalités. Au sein du groupe, rivalités personnelles et complot politique entrent en collision.

L'auteur

Auteure publiée régulièrement, Hélène Honnorat a travaillé une quinzaine d’années en Asie du Sud-Est dont quatre en Malaisie. Elle a vécu à Kuala Lumpur les événements qui nourrissent KL, complots et caducées.

Grâce à une documentation solide, ce roman, outre son côté humoristique, nous familiarise avec la capitale malaisienne et deux grandes figures historiques contemporaines.

 

« Merci pour KL que j’ai lu avec effroi. Quelle déposition ! Bravo ! » Amélie Nothomb

Extrait

KL, complots et caducées

 

Roman d’Hélène Honnorat

 

 

1

« En Occident, tout le monde couche avec tout le monde. Les gens se promènent tout nus ».

Qui éructe ainsi régulièrement, face à un auditoire international ? Un prédicateur en transe ? Un prophète barbichu ? Nenni. Un petit monsieur septuagénaire vêtu à l’européenne, avec toutes ses dents (vraies ou fausses), tous ses cheveux, un visage couleur havane criblé de grains de beauté et derrière ses lunettes l’œil scintillant d’intelligence et de mépris : Mahathir Mohamad, alias « Docteur M ». Celui qui a transformé sa patrie naguère sous-développée et colonisée, la Malaisie, en jeune dragon.

Et moi, Caroline, prête à tous les coups de foudre et à toutes les catastrophes, je débarque une fois de plus dans son pays pour y cornaquer un groupe de médecins, rejetons de l’Europe décadente ! 30 ans, toutes mes dents, moi aussi (qui claqueraient presque, tant la climatisation du taxi est poussée à fond), mais je crains de ne pas posséder le verbe enflammé de « Docteur M », le chef du Gouvernement.

6 heures du soir. Le taxi zigzague dans les ténèbres embouteillées, au sortir de l’aéroport. La ville est gréée d’échafaudages. Soudain deux fusées métalliques, ruisselantes de lumière, jaillissent : les tours Petronas, les plus hautes de la planète ! Je les avais quittées chrysalides, elles se dressent, crevant la nuit. Je me contorsionne pour les voir en pied. Contre l’horizon, suspendu loin derrière elles à quelque grue géante, flamboie en caractères de néon le slogan de Mahathir : WAWASAN 2020 (« VISION 2020 »).

2020, c’est l’année où la Malaisie devra se trouver pleinement développé « économiquement, socialement et spirituellement », pour… rattraper le niveau de vie de l’Occident, aussi corrompu soit-il. Le pays ne craint pas les paradoxes. Mais nous ne sommes qu’en 1998, il faudra encore ramer.

Je vais devoir galérer pareillement, avec mes toubibs. Plus de cent, je n’en ai jamais chaperonné autant à la fois. Kuala Lumpur, me revoici ! Comme j’aborde aux rives de l’hôtel Sabah, la guillotine de la pluie tropicale me tombe sur la nuque.

 

֍

 

From : caroline.doret@putra.net.my

To : agnes.f@caduceetours.fr

 

Kuala Lumpur, le 9 septembre 1998

 

Ma chère Agnès,

 

Ça y est, suis arrivée du Viêtnam balnéaire et coupé du monde où je dorlotais les neurologues conviés par le labo toulousain. KL manque toujours douloureusement de grâce. La Capitale ne jouxte aucune plage ; au confluent de ses deux douteuses rivières, elle s’obstine à piquer et à repiquer ses grues dans les chantiers comme autant de plants de riz. Mais au moins elle s’abreuve au fleuve Internet : je peux communiquer avec l’agence, avec toi ! J’ai rendez-vous dans une minute avec Boris Mangin, le médecin attaché à l’Ambassade, et plus tard avec le directeur de l’hôtel.

 

Je t’embrasse. Bonjour aux heureux sédentaires de Caducée Tours.

 

Caroline

 

֍

 

Le bar est désert. Arrive Boris, à grandes enjambées de quadragénaire qui ne veut pas se laisser ramollir par le climat. Il frise, il a pris un grand coup de mousson sur le chef entre sa voiture et les portes coulissantes du Sabah. Il y a deux ans, il venait d’être nommé attaché médical à l’Ambassade, je m’apprêtais à plier bagage au terme d’un colloque de pédiatres, nous nous sommes côtoyés lors de quelques soirées.

Il s’assied dans un fauteuil club en face de moi, se cognant les jambes dans la table qui nous sépare.

— Caroline ! Content de vous revoir. On s’est loupé l’année dernière, à cause du haze, le brouillard empoisonné.

— L’agence a effectivement annulé ma mission ; ça semble avoir été spectaculaire ?

— Je vous apporterai un dossier de presse, si vous voulez.

— Oui ! Comment vont la Malaisie et le bon Dr Mahathir ? Est‑ce qu’il fustige toujours, au gré de ses discours, les Occidentaux (fornicateurs décadents), les Américains, les Blancs, les homosexuels, les juifs, les capitalistes ?

Boris lève les yeux vers le faux plafond du bar drapé en forme de tente, soupire :

— Ce n’est pas si simple, Caroline. On en reparlera.

— D’accord, je sais que vous le défendez. Dites-moi surtout comment va son dauphin, Anwar Ibrahim, le chouchou des médias américains… et le mien !

Quelle idiote. Je m’en veux du mot puéril qui vient de m’échapper. Anwar qui, que, quoi ?… Disons qu’il me subjugue depuis notre « Brève Rencontre » à l’Alliance française de Kuala Lumpur, il y a deux ans ! Il s’y trouvait parce que l’une de ses filles y prenait des leçons. Lui-même ne parle pas notre langue, que je sache. Nous avons échangé en anglais, pendant qu’il attendait la fin du cours. Pas d’invectives fracassantes comme chez Mahathir, qui met le Coran et les « valeurs asiatiques » à toutes les sauces. Lui, c’est avec un islam pur et probe qu’il veut réveiller ses concitoyens, assoupis dans le confort occidental, la corruption malaise et le matérialisme chinois.

Sur les murs de l’Alliance, de vieux portraits mal encadrés d’acteurs et d’écrivains nous observaient. Il m’a dit son admiration pour Montaigne, le siècle des Lumières, Diderot, Voltaire, Zola et Maupassant. Dans une interview, j’avais entendu l’ex-président Giscard d’Estaing proclamer que Maupassant était son auteur favori, et trouvé cela du dernier commun (mes préférences allaient à Flaubert). Mais que ce mince quinquagénaire, politique ambitieux, lesté de six enfants, d’une épouse ophtalmologue et d’un destin national me confie semblable goût, voilà que je fondais. Il n’était donc pas, ou pas seulement, le prétendu intégriste dont les discours galvanisaient les étudiants ? Il s’était plongé dans la littérature et la philo françaises, traduites ! Il a eu un sourire très jeune, presque malicieux. J’ai compris ce jour-là pourquoi on le jugeait charismatique, malgré son physique frêle, sa petite taille.

Le cours de sa fille était terminé. Il m’a tendu la main, il a serré mes doigts nus, geste mémorable dans ce pays où, à diverses reprises, des hommes éduqués (?) se sont détournés pour ne pas me saluer parce que je ne portais pas la tenue prescrite par les puristes aux femmes qui s’exhibent en public : tunique, manches longues… et gants ! Deux ans plus tard, je sens encore le contact de sa paume contre la mienne, je vois le flash de son sourire, je l’entends faire l’éloge de « Maupassantt » et « Diderott ».

Boris, tout en se frictionnant la tête avec une serviette en papier, commande pour nous du « thé rouge », du rooibos, au barman qui vient d’apparaître. Nous restons au comptoir pour l’empêcher de verser du lait condensé sucré dans nos tasses. Pendant qu’il s’active en coulisses à faire chauffer de l’eau, Boris jette la serviette en papier trempée et tassée en boule dans un cendrier ; il enchaîne à mi-voix :

— Le joker de Mahathir, ces dernières années, c’était Anwar Ibrahim : longtemps perçu comme un leader islamiste, il avait, à la stupéfaction générale, rejoint le Gouvernement ! Dans la foulée, « Docteur M » lui avait confié la Culture, la Jeunesse et les Sports, l’Éducation, je ne sais plus quoi encore. Comment s’étonner qu’il fasse de l’ombre à son mentor ? Ensuite, il a cumulé les titres de ministre des Finances et de vice-Premier ministre, héritier désigné… et voilà. Arriva ce qui devait arriver.

— Quoi ? De quoi parlez-vous ? (Moi je ne chuchote pas, j’ai jappé comme un chiot.)

— Du fait qu’Anwar a été limogé, bien sûr. Ne me dites pas que vous l’ignorez.

— J’étais au Viêtnam, loin de tout, je débarque à peine ! Le vice-Premier ministre, le dauphin de « Docteur M », a été viré du Gouvernement ?

Il vient de l’être, par celui-ci. Comme de sa fonction aux Finances. Et bien entendu, aussitôt après, il a été éjecté de son poste de vice-président de l’Organisation nationale des Malais unis, l’UMNO, la coalition au pouvoir. Attention !!!

De saisissement, je me suis laissée tomber dans l’un des fauteuils club, cramponnée à ma tasse. Le thé rouge saute par-dessus bord, ébouillante mes genoux, mouille le cuir du siège. Boris pose la sienne, court au comptoir :

— Entre la pluie et le thé, nous allons épuiser leur stock de serviettes en papier.

J’éponge l’inondation. Je reprends mon souffle :

Mais pourquoi ? La raison officielle ?

Divergences de vues quant à la crise économique qui frappe l’Asie. Anwar était disposé à suivre les avis du Fonds Monétaire International prônant l’austérité ; Mahathir se fout du FMI. Il veut poursuivre sa politique d’investissements d’État et de travaux pharaoniques. Vous avez entendu parler du « Corridor Multimédia », la Silicon Valley malaisienne ? Vu les tours jumelles ?

— Mon Dieu, oui, les tours ! Ce sont des miracles, des merveilles.

Au fait, reprend Boris entre deux lampées de thé, Anwar est accusé de menacer la sécurité du pays, d’entretenir des contacts avec des éléments subversifs…

Où est-il ?

Chez lui, avec sa femme et ses enfants, à Bukit Damansara, sa maison en banlieue de KL. La foule se rassemble alentour et il s’adresse à elle ; jusqu’à six mille personnes, il paraît. Cela ne pourra pas durer comme ça.

Je siffle ce qui reste de rooibos au fond de ma tasse. J’invente : suis fatiguée, estourbie par la nouvelle… De toute façon, on se voit demain matin. Bonne nuit, Boris.

 

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« “Bien sûr, je serai arrêté”, dit Anwar Ibrahim. “C’est juste une question de temps.” »

Agence de presse Associated Press, septembre 1998.

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Si je pouvais ?… Sait-on jamais ! Bukit Damansara, banlieue chic et résidentielle à l’Ouest de KL, le chauffeur de taxi chinois sait parfaitement où c’est. Il a compris où je veux aller. Sauf que lui, il ne veut pas.

Trop de gens, la police, des ennuis…

Il fait monter les enchères. Si je le paye en dollars plutôt qu’en ringgit, il veut bien m’emmener jusque dans le quartier où vivent Anwar et sa famille. Après, je me débrouille.

La mousson s’est repliée. Des vagues de chenilles lumineuses grimpent à l’assaut des panneaux publicitaires. « NIKMATI COCA-COLA (Savourez Coca-Cola) ». En face : « DADAH BOLEH MEMBUNUH (La drogue peut tuer) »… comme en témoignent des têtes de mort d’un blanc fluorescent nageant dans une piscine de sang d’un rouge éclatant. Les couleurs des deux panneaux se répondent.

Couinement de recul des camions, coups puissants, éboulements, dans l’entrelacs des projecteurs semblables aux canons à lumière de défense anti-aérienne. À KL, les esprits frappeurs tambourinent toute la nuit. Les privilégiés disposent, pour s’isoler, de doubles vitrages scellés sur l’air froid et le silence.

Le calme règne, en revanche, à Bukit Damansara. Pelouses, buissons. Le palais éclairé, couvert de pustules dorées, ressemble à un pâté de sable démoulé auquel il ne manque ni une écaille ni une nervure. Nous roulons. Il pleut par intermittences. Stop ! Le chauffeur ne va pas plus loin.

Plus question de paix. Ici campent des milliers de partisans du dauphin déchu : debout, assis, les pieds dans le caniveau, tassés près des lampadaires. Des familles s’agglutinent sous leurs parapluies à quartiers de couleur, des postes de radio hurlent, les bébés réclament, des garçons chantent des rengaines populaires (je reconnais Rasa sayang, « Je ressens de l’amour »…), des silhouettes de femmes coiffées d’un foulard, portant des T-shirts bariolés, frappés d’une effigie, se penchent vers des thermos, deux marchands de sodas ambulants tintinnabulent, des affiches arrachées volent puis sont plaquées ici et là par les rafales. De la maison d’Anwar et de sa famille, je ne vois rien, que la multitude autour, qui l’aime et le protège.

Out!

C’est à moi que cela s’adresse. Un trio de policiers, jeunes, moustachus, casqués, armés de matraques, me fait signe de dégager. J’avance.

— Les touristes n’ont rien à faire ici, me jette l’un d’eux en anglais.

— Je ne suis pas une touriste.

Je pouvais difficilement dire quelque chose de plus stupide. Suis-je une journaliste, une photographe ayant planqué son appareil ? Je progresse, doucement, vers le bout de la rue et la foule. Celui qui m’a enjoint de quitter les lieux parle en malais aux deux autres. Il s’approche de moi, mais ne me touche pas : il tripote sa matraque. Tout à coup il tend le bras et me la plante entre les côtes. Et il appuie, sans un mot. Je ne sais lequel de nous deux est le plus désireux d’éloigner l’autre.

La douleur et la prudence gagnent. Commencer le congrès en me faisant coincer par les autorités dans un quartier où effectivement, je n’ai rien à faire… j’aurais l’air malin ! Je capitule, je tourne les talons.

 

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« La police en armes est stationnée autour de la maison de M. Anwar, où une foule de partisans en colère s’est rassemblée. »

BBC News, 2 septembre 1998.

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Alors je suis allée à Bangsar, la banlieue proche. Le Bangsar Shopping Center ne ferme jamais, je pense. Au milieu du hall, un commerçant avait installé un cylindre de tôle noire, grand comme un chaudron de sorcière, dont il remuait sans fin le contenu. Je lui ai acheté un épi de maïs verni de beurre. Autour, à même le sol, de très jolies assiettes décorées de cerises, destinées au marché européen, qu’un infime défaut avait vouées au rebut et que négociait un revendeur. On entendait le brouhaha des salles de jeux vidéo qui drainaient les adolescents vers les étages. Je suis sortie, les feux rouges du carrefour soutenaient un ciel de lit très obscur et très bas, qui fuyait de toutes parts. À KL, le chagrin vient en marchant. Mais une femme blanche qui déambule la nuit, sous la pluie, est un sujet d’étonnement, sinon de scandale. Je suis retournée vers ma niche.

 

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From : caroline.doret@putra.net.my

To : agnes.f@caduceetours.fr

 

K L, le 9 septembre 1998, nuit

 

Ma chère Agnès, j’ai vu le directeur de mon palace « en cours d’achèvement ». C’est la cata : il m’annonce que les cent quatre-vingts chambres promises pour le colloque sur le sommeil ne seront pas terminées à temps ! Il faut que je trouve d’urgence un autre point de chute pour une partie du groupe. Toi qui gères l’Asie, tu n’oublies pas que les toubibs atterrissent ici après-demain, avec deux membres de la puissance invitante, le labo ? Et que Caducée Tours a prévu un deuxième accompagnateur ! (Qui ??) Merci de le rappeler à qui de droit. Tu le sais, je préfère passer par toi que de m’adresser à Daniel, ton despotique patron. À bientôt,

 

Caroline

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