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Il y a eu cet instant où, dans un immonde taxi, pris de nausée, on ne savait où donner de la tête ; quant à celui où d’insidieux insectes sont venus en plein soleil se régaler sur notre peau, il y eut comme une angoisse à surmonter de fortes démangeaisons puis à les surpasser. Chercher au plus près et au plus vite de quoi se parer pour éviter que ces moments existentiels ne viennent troubler cette paisible torpeur. Mais où trouver là, sur-le-champ, son remontant ou antalgique conservé avec précaution un peu trop loin du délit ? D’ailleurs, si l’on ajoute d’autres petits maux comme le coup de chaleur ou la microentorse, c’est une lourde pharmacie qu’il faudrait devoir porter, réveillant, de ce fait, un lumbago oublié. À observer autour de soi, on se dit qu’il doit bien exister quelques médications de tradition thaïlandaise ou d’origine plus lointaine, quelques mixtions que l’on nous aurait cachées et qui viendraient apaiser ces petites souffrances quotidiennes.
S’aventurer dans les officines ésotériques pour solliciter un pharmacien, mais à peine expliqué son mal par le langage des signes que le voilà parti pour mixer une préparation repoussante ; on la lui achète par obligation et empressement, quant à l’utiliser effectivement, on y réfléchit encore.
Dans les boutiques de parapharmacie internationale, on trouvera bien des produits de marques connues mais pas vraiment miraculeux, si bien que l’on achètera, par dépit, une ou deux boîtes en verre de ce produit d’appel, placées à même le devant de la caisse, au nom intrigant de Baume du Tigre.
On imagine déjà des chasseurs partis dans de dangereux safaris et de savants alambics pour extraire on ne sait quel filtre thérapeutique, mais, au fond, ce ne sont que quelques plantes sciemment dosées. Quant au vigoureux tigre rugissant sur l’emballage, que l’on se rassure, car il n’est que le symbole de cette marque centenaire ; on pourra tout aussi bien essayer le Baume du Singe, allégorie de longévité du produit concurrent.
Même fermé, une odeur de menthol se diffuse allégrement hors du bocal ; alléché, on ouvrira rapidement la petite boîte pour découvrir un baume blanc ou orange. À humer de plus près, le parfum frais d’huile de menthe ou de cajeput persiste, stimulant l’esprit au-delà des malaises du moment ; à faire pénétrer le concentré sur les blessures du corps, les extraits de clous de girofle ou de camphre enflamment sans violence ces dernières pour une félicité retrouvée. Savant équilibre entre les éléments chauds et les éléments froids ; une fois adepte, ce simple baume devient le réconfort ultime dont on ne saurait se priver.
On découvrira que ce produit est issu de la pharmacopée chinoise millénaire, qu’il est vendu presque partout, largement reconnu sans danger et qu’à bien y regarder, chaque Thaïlandais cache précieusement une fiole ou capsule métallique pour inhaler quelques arômes ou étaler quelques grammes de pommade sur le corps, s’enivrant à bon escient d’une douce médecine.
Jean Maury
Version révisée par les éditions Gope, février 2017
Texte extrait de Sous le ventre de l’éléphant blanc qui peut être acheté ici
© illustration : Tiger Balm®
Maison d’édition indépendante ayant pour vocation de faire découvrir la Thaïlande, Hong Kong, la Malaisie, l'Indonésie, le Cambodge... par le livre