TEMPS DE LECTURE : 3 minutes.
Le rendez-vous était pourtant clair : au niveau du vendeur de porcelaine, à droite de la grande horloge ; nous nous étions même confirmé l’adresse sur un plan et étions convenus d’une heure précise.
Ah ! La tour de l’horloge ! Sorte de petit Big Ben dans ce dédale commercial, édifice certes pas très haut mais facile à repérer en suivant les allées qui y mènent, à condition de les prendre dans le bon sens, d’entrer par le portail nord juste après la sortie du métro, de ne traverser aucun bâtiment ni hall et, surtout, ne pas s’attarder devant des centaines d’échoppes proposant souvenirs, artisanat, habits, amulettes, antiquités, céramiques sans oublier plantes, gastronomie locale et animaux de compagnie. Quant aux meubles et décorations antiques prêts à être expédiés, il y en a un trop vaste choix avec des dizaines de chalands prolongeant la négociation au-delà même du périmètre de ce marché du weekend dit de « Chatuchak ».
Tant pis pour ce rendez-vous qui se révèle quasiment impossible. Ce sera donc par petits groupes ou individuellement que l’exploration de cet immense marché débutera, à la recherche de l’objet rare, du cadeau idéal et de la bonne affaire du jour.
Attiré par des stands décorés, par ces artisans modelant avec dextérité le bois, la nacre, le métal pour réaliser des bijoux fantaisie ou de luxe, sans compter toutes ces petites mains taillant des étoffes pour de belles parures, on se précipite de marchand en marchand, rencontrant des créateurs passionnés, des revendeurs de pacotille ou des commerçants d’un jour avec qui on ne pourra négocier que des produits vendus à la douzaine, même si deux ou trois exemplaires auraient suffi.
Derrière la planque du distributeur de glace à l’eau, on tombera sur les allées d’articles d’occasion, surplus militaires et autres fringues exotiques, bradés par des détaillants n’hésitant pas à s’afficher en punk ou en cow-boy. On leur sourira volontiers, hésitant à prendre une nouvelle photo insolite de cette galerie de portraits et de décors pittoresques.
Chiner à tout va, examiner chaque rayon, penser à combler équitablement chacun de ses amis d’un souvenir arraché de ce grenier et, pris par le rythme des achats devenus nettement compulsifs, y négliger la problématique du portage et du transport.
Un dernier passage pour retrouver le sculpteur de meubles en teck, négocier un objet déco, se désaltérer dans un café le temps de se convaincre d’avoir fait le bon choix, on repart un peu excité et, cela va de soi, dans la mauvaise direction.
Alors, continuer dans cette ruelle dont les stands commencent à baisser leurs rideaux, repérer quelque agitation au loin et déboucher in extremis devant la tour de l’horloge pour s’affaler sur des marches.
Tout aussi épuisé et chargé d’autant de sacs et de cartons, on entend causer tout à côté ceux ou celles qu’on avait crus définitivement perdus depuis le rendez-vous manqué du matin et qui, on ne sait comment, ont atterri sur la même place centrale du marché de Chatuchak, après avoir craqué pour les mêmes babioles qu’il faudra s’échanger poliment sans rechigner.
Jean Maury
Version révisée par les éditions Gope, février 2017
Texte extrait de Sous le ventre de l’éléphant blanc qui peut être acheté ici
© illustration : Mark Fischer, 2011
Maison d’édition indépendante ayant pour vocation de faire découvrir la Thaïlande, Hong Kong, la Malaisie, l'Indonésie, le Cambodge... par le livre