Livres ayant pour thème ou cadre l'Asie du Sud-Est

TEMPS DE LECTURE : 5 minutes.


À Hong Kong, si vous n’avez pas un visage chinois, ça ne rate pas : moins de cinq minutes après avoir fait la connaissance d’un nouvel arrivant, vous entendez l’une de ces deux questions.
Si la personne qui s’adresse à vous n’est pas chinoise, elle boira une gorgée de sa Carlsberg et demandera :
— Eh bien… d’où venez-vous ?
Si la personne en question est un Chinois de Hong Kong, elle boira une gorgée de son cognac et demandera :
— Être de quel pays ?
Je ne sais pas comment vous le prenez, mais moi, je déteste ces questions ! Je les déteste ! Je les déteste !
Considérons la première. La conversation prend d’ordinaire cette tournure :
NON-CHINOIS. — Eh bien… d’où venez-vous ?
MOI. — De l’île de Lantau.
NON-CHINOIS. — Non, je veux dire, d’où venez-vous ?
MOI (essayant toujours d’être poli). — Hum… de l’île de Lantau… Vous savez, le Grand Bouddha et tutti quanti.
NON-CHINOIS (commençant à penser que je le fais exprès). — Non, je veux dire, où retournez-vous ? Vous savez, où allez-vous quand vous partez de Hong Kong ?
MOI. — Partir de Hong Kong ? J’irais certainement en Italie, les pâtisseries y sont excellentes.
À ce stade, mon interlocuteur cherche du regard une personne saine d’esprit à qui parler.

Pourquoi, lorsque vous êtes non chinois, indépendamment du fait que vous vivez ici depuis 5, 10 ou 30 ans, suppose-t-on que votre « chez-vous » doit nécessairement se trouver ailleurs ? Au demeurant, de nombreux résidents non chinois pensent la même chose : « chez nous », c’est toujours quelque ville horrible à des dizaines de milliers de kilomètres, un endroit où ils retournent dans le meilleur des cas une ou deux semaines par an. Et qui vit là-bas ? Les gens que vous avez connus au lycée, ceux qui ont manqué de l’imagination ou de l’ambition nécessaires pour aller vivre ailleurs. Ceux qui ressassent toujours les mêmes vieilles rengaines que la dernière fois que vous les avez vus, et celles d’avant aussi. C’est un endroit où vous vous sentez plus dans la peau d’un touriste qu’un vrai touriste. Vous n’êtes pas au courant des derniers potins, vous ne connaissez pas les dernières émissions télé, ni les nouvelles pop-stars, ce qui vous fait vous sentir à côté de la plaque dans la plupart des conversations. Vous ne savez pas non plus le prix des choses et les gens se comportent de manière différente – voire étrange ! – de celle qui vous est coutumière à Hong Kong. Des inconnus vous entendent parler et, à votre accent, ils en concluent que vous êtes du coin. Et, pourtant, vous vous comportez si bizarrement ! Les personnes présentes supposent que vous venez juste de sortir de prison après avoir purgé une longue peine ou que vous êtes sous l’emprise de stupéfiants.
Allons bon, vous savez bien de quoi je parle. Ici, à Hong Kong, vous pouvez faire une remarque sarcastique au sujet du Secrétaire aux Finances ou des problèmes d’élocution d’une jolie présentatrice d’un journal télévisé et tout le monde sourira d’un air entendu. Là-bas, essayez donc un trait d’esprit au sujet du maire ou du présentateur météo ou, pire : donnez une opinion documentée sur l’actualité internationale. Les gens vont s’éloigner en vous regardant de la tête aux pieds comme si vous aviez dit : « au fait, j’ai la syphilis. »
Et vous appelez cet endroit « chez vous » ?

À présent, considérons l’hypothèse où c’est un Chinois qui, lors d’une party, me demande : « Être de quel pays ? » Implicitement, cela signifie qu’il est impossible que je sois de Hong Kong. En général, je donne une réponse à la hauteur de l’idiotie de cette question.
Imaginez un instant que je vive en Australie et que je rencontre une personne de type chinois à une party et que je lui demande : « Être de quel pays ? » Supposons que cette personne a émigré en Australie 20 ans auparavant. Un émigré est généralement fier de s’être intégré. Alors, mon interlocuteur de type chinois, homme ou femme, serait tout à fait susceptible de répondre : « Je viens de Melbourne. »
Alors, si j’insistais :
— Non, non, je veux dire, d’où venez-vous ? Où retournez-vous ? Où allez-vous quand vous quittez l’Australie ?
Cet Australien ressemblant à un Chinois pourrait très bien être agacé et conclure que :
1°) Je suis raciste, parce que je présume qu’une personne de type asiatique ne peut être un véritable Australien ;
2°) Je fais peu de cas de sa fierté de s’être intégré dans le pays, que ce soit un pays d’adoption ou non ;
3°) Je suis un connard.
Cette personne pourrait se tromper dans les cas 1°) et 2°), mais elle aurait parfaitement raison au sujet du 3°).
Et c’est exactement ce que je ressens lorsqu’on présume qu’une personne non chinoise ne peut pas répondre « Hong Kong » quand on lui demande d’où elle vient.

Comment définissez-vous votre « chez-vous » ? Il y a deux écoles de pensée :
– La maison, c’est là où se trouve votre cœur ;
– La maison, c’est là où vous accrochez votre chapeau.
Le premier dicton est manifestement ce qu’on lit sur ces napperons brodés ou ces repose-têtes proposés dans les catalogues de vente par correspondance. Cette philosophie n’est pas sans rappeler une projection astrale, le corps est dans un lieu tandis que l’esprit est ailleurs. En fait, cette approche n’est pas si farfelue que ça. Elle est explicable par la physique quantique qui postule que la position spatiale d’une particule dépend uniquement du point de vue de l’observateur. Toutefois, une épithète permet de qualifier ceux d’entre nous dont le corps, pour peu qu’il soit plus complexe qu’une particule élémentaire, se trouve en un endroit et l’esprit ailleurs : « décédé. »
Les lieux de vie de ces expatriés morts-vivants sont faciles à reconnaître. Dans leur appartement payé par leur entreprise, les murs sont absolument vierges de toute décoration, il n’y a pas un meuble qui ait été choisi et acheté par les occupants. Même les oiseaux reconstruisent et redécorent leur nid chaque année, tout le contraire de ces expatriés dont la maison est ailleurs.
Même les personnes qui résident à Hong Kong depuis 20 ans ont des appartements où l’on dirait qu’elles viennent juste d’emménager. Ah ! Elles pourraient bien avoir quand même accroché quelque masque dégoté à Bali ou une statuette contrefaite de Bouddha, prétendument passée en contrebande depuis la Birmanie et achetée à Chiang Rai ; mais leur appartement donne l’impression qu’elles sont prêtes à en rendre les clés à tout moment.
Pire, certaines apprennent à leurs enfants, qui sont nés sur place ou n’ont aucun souvenir d’avoir vécu ailleurs, à considérer ce vague pays lointain comme leur chez-eux. « Nous rentrons chez nous cet été. Vous ne verrez pas vos meilleurs amis pendant trois mois, parce qu’ils rentrent tous chez eux. Mais ne vous inquiétez pas, il y aura d’autres enfants là-bas qui se feront un plaisir de vous brutaliser ou de vous traiter comme des monstres de foire, n’est-ce pas merveilleux ? »

Quant à La maison, c’est là où vous accrochez votre chapeau, ce n’est pas sans avoir quelques inconvénients non plus. D’abord, vous devez avoir un chapeau. Ce qui suppose une vie bohème, voire nomade. Est-ce si grave que ça ? L’une des plus anciennes cultures, celle des Roms, ou Bohémiens, est restée l’une des plus vivantes et des plus attachées à maintenir des liens familiaux forts pendant des millénaires. C’est probablement la seule ethnie dans ce monde qui n’ait pas fait la guerre aux autres ni commis de génocide. Regardez ces peuplades qui furent jadis des accrocheurs de chapeau nomades et qui se sont converties à l’idée d’associer leur cœur à une portion de territoire particulière : les tribus arabes, autrefois nomades, ont engagé une lutte à mort contre les Juifs, une diaspora autrefois nomade elle aussi, et c’est à celle qui truffera l’autre de plus de plomb.

Je préfère une 3e école de pensée : Chez moi, c’est là où il y a des dimsums. « Dimsum » signifie littéralement « petit morceau de cœur ». Mais pour moi, cela signifie « brunch du dimanche, à Hong Kong », quelque chose que l’on peut faire à la maison.

Alors, à partir de quand quelqu’un peut-il se prétendre « chez lui » à Hong Kong ? Si vous me posez la question sérieusement, ma non moins sérieuse réponse est : « Autour de 6 h, le soir, cela fera l’affaire. » Quittez votre bureau, achetez-vous une bonne bouteille et portez un toast à votre nouveau chez-vous ! Trouvez-vous un conjoint. Téléphonez à tous ces gens restés là-bas et dites-leur que vous avez fugué et que vous ne reviendrez jamais.
Si vous vous prétendez déjà « chez vous » à Hong Kong, alors, SVP, laissez-moi vous donner une suggestion. La prochaine fois que vous me rencontrez à une party, posez-moi n’importe quelle question typique de Hong Kong : « Combien gagnez-vous ? », « Combien vaut votre maison ? » « Sur quel cheval misez-vous pour la 3e course ? » Surtout, ne me demandez pas : « D’où venez-vous » ? »
Et vérifiez si je porte un chapeau – cela m’arrive rarement, il est accroché à la maison.

Larry Feign
Extrait de Hongkongitis traduit de l’anglais par David Magliocco
Mai 2018

Larry Feign est l’auteur de Le monde de Lily Wong et de Aieeyaaa ! Apprenez le chinois à la dure parus aux éditions Gope

© illustration : Larry Feign, 2007

TEMPS DE LECTURE : 5 minutes.


L’emplacement des convives autour de la table de restaurant faisait penser à une guirlande de personnages en papier découpé : Chinoise + Occidental – Chinoise + Occidental – Chinoise + Occidental… Quasiment tous les Blancs que je fréquente à Hong Kong sont soit mariés soit en union libre avec une Chinoise, ou alors amoureux d’une Chinoise.

Je suis bien conscient que la réciproque, Chinois-Occidentale, existe. Si l’on fait abstraction des quelques couples gays et d’un ou deux mariages normaux que je connais, j’ai vu plus de spatules noires de Sibérie à Hong Kong que de couples Chinois + Occidentale.

Bien que nous vivions presque aux antipodes, qu’est-ce qui fait que l’un est attiré vers l’autre, comme le serait un babouin vers un cygne ? Le cliché, c’est qu’un certain type d’homme occidental, mal dans sa peau (traduction : un raté), fatigué des relations amoureuses modernes avec des femmes occidentales libérées (traduction : geignardes et arrogantes) où l’homme doit montrer ses sentiments, recherche la compagnie de petites Chinoises douces et soumises, de poupées au visage de porcelaine, aux cheveux couleur de réglisse et aux yeux en amande.

C’est une vue des choses tout à fait superficielle et une insulte à l’encontre de… bon, d’accord… la grande majorité des types que je connais ont cette approche. Mais qu’en est-il des Chinoises ? Douces ? La plupart du temps. Petites ? Certaines d’entre elles. Soumises ? C’est aussi vrai que la Terre est plate et que ma Rolex achetée 88 HKD n’est pas une copie.

Toutes les Chinoises mariées ou amoureuses d’un Occidental que j’ai rencontrées sont futées, vives, lucides, intelligentes, sûres d’elles ; elles n’ont pas peur de dire tout haut ce qu’elles pensent ni de gifler leur homme en public (qu’il le mérite ou non). Ces femmes ne s’en laissent pas conter, alors, il y a vraiment peu de chances qu’elles choisissent ce type de crétin qui désire une exotique Madame Butterfly.

Alors, qu’est-ce que ces Chinoises au caractère bien trempé recherchent chez un Occidental ?

Une explication plausible mais quelque peu bancale est qu’une Chinoise moderne et indépendante ne veut pas être opprimée par un Chinois chauvin qui n’a qu’un centre d’intérêt (l’argent, bien sûr, pas le sexe) et refuse de se faire houspiller et battre quotidiennement par sa belle-mère tant qu’elle n’aura pas pondu un petit morveux bien dodu qui sera pourri-gâté. Au lieu de cela, elle se jette dans les bras poilus d’un mâle fort mais sensible, un cow-boy romantique qui la traitera avec respect.

Néanmoins, si elles souhaitaient vraiment éviter d’avoir une belle-mère autoritaire, comment expliquez-vous que tant de Chinoises aient épousé des juifs, voire des catholiques ?

Ensuite, il y a l’explication psychanalytique, étayée par les croyances chinoises : selon un dicton asiatique, la taille du nez d’un homme est directement proportionnelle à la taille d’une autre partie de son anatomie qui intéresse les femmes. Et je ne parle pas de la pointure de ses chaussures !

Toutefois, la vraie question est : qu’est-ce qui fait que nous restions en couple après la découverte des yeux en amande et du grand nez (ou d’un autre appendice) ?

Après 25 ans d’étude approfondie du sujet, je peux affirmer avec certitude qu’un Occidental et une Chinoise n’ont absolument rien en commun. Les divergences commencent dès le réveil : vous lavez-vous les dents avant ou après le petit déjeuner ? Pour un Occidental civilisé et plein de bon sens, il semble complétement stupide de se brosser les dents avant le petit déjeuner : la nourriture n’aura plus aucun goût après le dentifrice et, ensuite, vous ferez profiter vos collègues de votre haleine chargée de relents de poisson séché pendant toute la journée. Pour une Chinoise raffinée, il semble complètement idiot de commencer la journée en en remplissant de mets que l’on vient de cuisiner une bouche encombrée de sucs gastriques ou de mucus, puis de tuer les délicats arômes qui s’y attardent avec une écœurante pâte édulcorée.

La douche pose un problème inverse. Tous les couples Occidental + Chinoise que je connais, que ce soit après 5 semaines ou 50 ans de vie commune, sont toujours en désaccord en ce qui concerne le moment adéquat pour se doucher : le matin ou le soir ? Si l’on suit la logique qui prévaut en Occident, une douche au lever du lit est parfaite pour se réveiller et vous donner de l’énergie pour la journée à venir. En revanche, selon la logique chinoise, une douche est supposée vous détendre et vous préparer au sommeil. Dit autrement, le système nerveux des Chinoises et des Occidentaux réagit différemment à l’eau, comme le sodium ou le potassium. La preuve que nous ne sommes pas seulement 2 races, voire 2 espèces différentes : nos structures moléculaires sont différentes !

La nourriture est une autre source de conflits ou d’amusement qui peut friser le sadomasochisme. J’adore la cuisine chinoise et je mange des plats, comme le congee avec des radis en saumure ou de la soupe de graines de sésame noir, qui dégoûtent certains Occidentaux. J’adore également la pizza, la cuisine mexicaine et les cornichons à l’aneth casher. Mais je peux me passer pendant une semaine, un mois, même trois mois s’il le faut, de nachos et à peu près aussi longtemps de pizza. Essayez donc de priver une Chinoise de riz pendant trois jours ! Une fois, j’ai eu l’occasion de voyager en Europe de l’Est avec une ressortissante hongkongaise que je ferais mieux de ne pas nommer. Je n’ai rien remarqué de particulier les premiers jours pendant lesquels notre régime alimentaire était à base de pommes de terre et… euh… de pommes de terre. Puis, rapidement, vous commencez à voir le tremblement des mains, puis l’insomnie, l’irritabilité. Au 10e jour, le stade de delirium tremens est atteint. Finalement, telle une personne mourant de soif dans le désert, elle arrive à laisser échapper un dernier râle : Du riz ! Un junkie peut toujours trouver un dealer lorsqu’il a désespérément besoin de sa dose. Seulement, en 1990, en Pologne, à Cracovie, où vouliez-vous trouver du poulet cuit à la vapeur avec son accompagnement de pak choï et de riz vapeur ?
On nous a dit que l’on mangeait du riz en Hongrie et que le prochain train pour Budapest partait 2 heures plus tard, ce qui était faisable si nous revenions dare-dare à l’hôtel pour récupérer nos bagages.

Un Occidental a la part belle : ce dont il a besoin en priorité – une bière – est disponible n’importe où, à l’exception, sans doute, du Sud Yémen et du Kansas, le dimanche. Mais quand vous voyagez avec une Chinoise, ne vous éloignez pas à plus d’une demi-journée de route d’un restaurant asiatique !
Les différences culturelles et moléculaires ne sont pas les seuls obstacles aux liaisons Occidental + Chinoise. Il y a aussi les parents.
Ça me rappelle une vieille blague juive :
— Maman, c’est moi, Hershel. Je t’appelle de Hong Kong. Maman, j’ai rencontré une fille géniale et nous allons nous marier.
— C’est formidable. Comment s’appelle-t-elle ?
— Rose Chang.
— La ligne doit être mauvaise. As-tu dit « Rosenstein ou Rosenberg » ?
— Chang, Maman. Elle est chinoise.
— Ah !… Euh… C’est formidable.
— Et juste après notre mariage, nous venons te rendre visite.
— Ah oui, bien sûr. Venez quand vous voulez. Vous serez chez vous ici.
— Mais ton appartement en Floride est si petit ! Où dormirons-nous, Maman ?
— Où veux-tu qu’un homme et une femme fraîchement mariés dorment ? Dans la chambre à coucher, bien sûr !
— Et toi, Maman, où dormiras-tu ?
— Hershel, mon bébé, ne t’inquiète pas. Il y aura toute la place que tu veux quand tu viendras, parce qu’une fois que j’aurai raccroché, j’irai me donner la mort.

Cette histoire met en relief une autre différence culturelle. Aucun parent chinois ne menacera de se suicider à l’annonce d’un événement aussi heureux que le mariage de son enfant. Un parent chinois sera plus pragmatique et voudra plutôt tuer le Gweilo. Lorsque ma future épouse a téléphoné chez elle des États-Unis pour annoncer ses fiançailles, la conversation a pris ce tour :
— Ah-ba, je lui ai dit « oui » !
— Il s’appelle comment ? Tu sais que tu ne peux pas te marier avec Chan, Wang ou Leung.
— Aucun problème, c’est un Occidental.
Sa réponse fut audible sans l’aide de l’écouteur, elle a traversé l’océan Pacifique dans toute sa largeur :
— AAAAAAAAAAAAAAAAAH !?…
Après une pause :
— JE VAIS LE TUER !
— Mais, Ah-ba, il est américain.
Une autre pause, suivie d’une illumination :
— Bon d’accord, tu commences par obtenir ton passeport américain et après, je le tue !

Alors, comment expliquez-vous ce phénomène des mariages Occidental + Chinoise ? Aucune raison logique ne peut expliquer notre attraction mutuelle. Nos familles, même si elles font semblant de l’accepter, regrettent au plus profond d’elles-mêmes que nous n’ayons pas épousé un gentil petit gars/une gentille petite fille du coin. On pourrait énumérer une foultitude d’autres raisons expliquant l’incompatibilité de nos deux races. Et pourtant, un très grand nombre d’entre nous tombent amoureux, se marient et, contre toute attente, restent mariés. Ça vous intéressera probablement de savoir que le taux de divorce de ce genre de couple est plus bas que la moyenne.

Peut-être est-ce le fait d’être si différents qui nous lie ? Après tout, au bout de 20 ans, quels sujets de conversation pourraient avoir les couples issus du même milieu ethnique, culturel et géographique ? Ils ont trop de choses en commun, leur conversation est forcément sans intérêt. Les couples interraciaux n’ont pas la même langue maternelle. La syntaxe de leur pensée profonde est étrangère à l’autre. Et c’est une bonne chose !
Lorsqu’un couple Blanc + Chinoise se chamaille, nous présumons que c’est un problème de grammaire, de culture, quelque chose tout droit sorti d’un livre d’anthropologie. Ce n’est pas vraiment nous qui trompons l’autre, lui manquons de respect ou le méprisons, c’est notre culture, comme Montaigus et Capulets. Quand nous nous disputons, nous sommes Roméo et Juliette incarnés : nous sommes les plus grands amants de tous les temps.

J’ai fait part de cette réflexion à mes amis, au restaurant. Les hommes opinèrent tous et prirent leur épouse par l’épaule. Celles-ci froncèrent les sourcils et répondirent :
Chi sin ! Juliette n’était pas chinoise !
Vive la différence !

Larry Feign
Extrait de Hongkongitis traduit de l’anglais par David Magliocco
Janvier 2018

Larry Feign est l’auteur de Le monde de Lily Wong et de Aieeyaaa ! Apprenez le chinois à la dure parus aux éditions Gope

© illustration : Larry Feign, 2007

TEMPS DE LECTURE : 6 minutes.


Si l’on en croit les statistiques démographiques sur les personnes qui lisent les publications hongkongaises en langue anglaise, 60% d’entre elles sont chinoises, 75% ont déjà bu du cognac au moins une fois dans leur vie (ce qui n’implique pas qu’elles aient trouvé ça bon. Moi, perso’, je me sers des alcools que l’on m’offre pour allumer le barbecue), et 48% sont des femmes. Enfin, 33% ne sont même pas sur place en ce moment même.
En effet, si on additionne le mois d’accalmie du Nouvel An chinois aux trois mois de vacances scolaires d’été, il semblerait bien que la moitié de la population de Hong Kong soit absente une bonne partie de l’année. Les expatriés rentrent « chez eux » pour les vacances de Noël, de Pâques, tout l’été et, on dirait, à une quinzaine d’autres occasions au cours de l’année. Remarquez que « chez eux » est entre guillemets. Je n’ai jamais compris comment des expatriés qui vivent à Hong Kong 11 mois par an depuis 5, 10 ou 30 ans peuvent toujours se considérer « chez eux » dans un pays lointain, morne et froid où leurs anciens camarades de lycée, des gens pathétiques et sans ambition, vivent toujours.
De façon similaire, une partie de la population autochtone de Hong Kong disparaît elle aussi à l’occasion de n’importe quelle période de congé ; elle part soit vers une destination touristique, en voyage organisé, soit individuellement vers ce pays qui est mentionné sur leur 2e passeport et où Li Ka-shing détient la moitié du parc immobilier du centre-ville.
Vous avez beau prétendre que la banlieue de Milton Keynes ou de Phoenix c’est « chez vous », ou que vous êtes un Canadien ou un Australien acculturé parce que vous avez autrefois passé 2 ans en exil, pour raison de passeport. Mais une personne qui vit à Hong Kong plus de, eh bien, disons 3 jours, attrape vite une hongkonguitose, la manière locale de faire les choses, sans même s’en rendre compte.
Je sais de quoi je parle. J’en suis passé par là. Pour m’être simplement comporté comme un Hongkongais normal, j’ai été presque lynché à Francfort, déclaré « personne disparue » à Los Angeles et considéré impoli à New York où l’on est pourtant très tolérant.
Alors, voici quelques règles dont il faudra vous souvenir lorsque vous rentrerez « chez vous ».

Les escaliers sont des lieux de passage, pas de dépôt d’ordures.
Supposons que vous séjourniez dans le pavillon de banlieue de vos parents. Souvenez-vous qu’il n’y a pas d’ascenseur pour monter à la chambre des enfants. Donc, on n’appréciera pas du tout que vous commenciez à empiler de vieux meubles et des appareils électroménagers en panne dans l’escalier. Les sacs-poubelle pleins sont en général sortis et déposés dans la poubelle… par vos propres soins, pas par une aide-ménagère invisible.

Dans la plupart des autres pays, personne ne connaît précisément la surface de son lieu de vie car ce n’est pas considéré comme important.
Je séjournais chez un ami à Atlanta. Comme tout bon Hongkongais, avant même que mes pieds ne franchissent le pas de la porte, ces mots sortirent de ma bouche :
— Combien de m2 fait ton appartement ?
Bien sûr, un vrai Hongkongais aurait d’abord demandé :
— Combien tu l’as payé ?
Je gardais simplement cette question pour plus tard. Mon ami était perplexe :
— Je ne sais pas au juste. C’est un F3 standard. Je n’ai jamais demandé quelle était la surface exacte.
Le fait qu’il s’agissait d’un appartement agencé avec goût, spacieux, avec vue sur une magnifique rue bordée de cornouillers, à portée de pas de parcs, de cafés, et, tout aussi important, dans la ville où l’on fabrique mes beignets préférés, alors que j’habitais un clapier bétonné dans une tour de Pokfulam, n’était qu’un point de détail.
Tout cela n’avait aucune importance, il me fallait un chiffre. Mon ami se plia à mon caprice et téléphona au propriétaire. Ce dernier fut incapable de lui répondre. J’étais estomaqué. Pouvez-vous imaginer un propriétaire hongkongais qui ne connaisse pas la surface de son bien immobilier au mm2 près ?
Je ne trouvai pas le sommeil avant de savoir quelle était la superficie. Alors, en prétendant que c’était « juste pour rire », j’ai demandé un mètre déroulant… et j’ai mesuré l’appartement. 122.6 m2, plus ou moins 1.5 m2. Enfin, je pouvais me détendre. Sans ce chiffre, je ne pouvais pas réellement me rendre compte à quel point il était spacieux. Aux yeux de mon ami, j’ai passé pour un crétin de première. Non ! Je ne suis pas un crétin, je suis juste un Hongkongais !

Quand le Gouvernement vend un terrain aux enchères, cela ne fait pas la une des journaux télévisés.
Vous aurez probablement l’impression qu’il manque quelque chose d’autre quand vous regardez les informations à la télévision, dans un autre pays. Ne vous inquiétez pas, votre réaction viscérale est justifiée. Vous pouvez rester planté devant le téléviseur toute la nuit, vous ne verrez pas Freddy ; de plus, la miss météo en chair et en os qui le remplace n’est même pas jolie.

Si un nouveau guichet s’ouvre, laissez la priorité aux personnes devant vous.
Ça, j’ai payé de ma personne pour le savoir. Je me trouvais à l’aéroport de Francfort, je faisais la queue dans une file interminable pour m’enregistrer sur le vol de retour à Hong Kong qui partait 90 minutes plus tard. Il restait 36 personnes devant moi, alors que 10 minutes auparavant, il y en avait 38. A ce rythme, j’allais rater mon avion, et le prochain.
Enfin, une blonde titanesque apparut derrière le comptoir adjacent et enleva le petit écriteau « CLOSED ». Personne dans la file ne bougea. Je mis ça sur le compte d’une politesse embarrassée et hypocrite, comme lorsqu’un siège se libère dans un MTR bondé : personne ne le prend, puis, à coup sûr, les portes s’ouvrent à la station suivante et quelque adolescent s’y précipite en bousculant les petites vieilles ou les femmes enceintes pour se l’accaparer.
Etant Hongkongais dans l’âme, ma réaction à l’ouverture de ce guichet fut aussi naturelle et irrépressible que celle d’un chien à la vue d’une borne à incendie. En une fraction de seconde, je piquai un sprint, entraînant ma femme et mes bagages à ma suite, pour être le premier dans la nouvelle file. A part moi, personne d’autre n’avait bougé. Pourtant, je n’y voyais rien d’anormal. Si vous vous êtes déjà trouvé dans un supermarché hongkongais lorsqu’une nouvelle caisse ouvre, vous savez que ce sont les gens derrière vous, ceux qui ont le moins attendu, qui passent en premier à la caisse. C’est normal !
Puis, je remarquai les 35 regards furibonds provenant de mon ancienne file. La tension dans l’air devint comme de l’électricité statique avant un orage, elle se concentra dans le regard glacial de la walkyrie aux yeux bleus. Soudain, mes oreilles captèrent ce que mon épouse, qui est bien plus ouverte aux autres cultures, me criait :
— Nous sommes en Allemagne ! Les gens sont polis ici ! Personne ne bougera tant que la titanesque fraulein ne dira pas « Au suivant » !
Comment étais-je supposé me comporter ? M’excuser tout en insistant pour que l’on m’enregistre immédiatement ou retourner dans la file et perdre la face ? Je suis de Hong Kong. Donc, je préfèrerais m’immoler plutôt que de perdre la face. Mais ma femme a insisté pour que nous perdions la face, ce qui nous a probablement sauvé la vie.

Au restaurant, s’il y a 2 personnes assises à une table pour 6, vous ne pouvez pas prendre place à côté d’elles.
Vous pouvez le croire ou non, mais vous ne pouvez pas non plus vous planter à proximité et taper du pied pour montrer votre impatience et les inviter à dégager. C’est bizarre, tout de même…

La vaisselle est propre.
Dans la plupart des restaurants à l’étranger, il n’est pas nécessaire de rincer les couverts dans votre théière d’Earl Grey. De plus, si vous le faites, vous serez selon toute vraisemblance emmené dans un endroit où de gentilles personnes en blouse blanche vous serviront du potage et vous empêcheront de manipuler ne serait-ce qu’un couteau à beurre, pour éviter que vous vous fassiez du mal.

Une seule serveuse s’occupe de vous.
Vous le savez et je le sais aussi. Mais on oublie si vite. J’étais à Manhattan, dans un café situé près de la bibliothèque municipale. Mon sandwich n’arrivait toujours pas et je voulais un autre café, alors, naturellement, je m’adressai, avec politesse, au premier serveur venu.
— Ce n’est pas moi qui m’occupe de vous, c’est Leslie, dit-il.
— Enfin, vous travaillez ici, vous aussi, non ?
Il me donna alors des noms d’oiseaux et les autres clients, à en juger à leur expression, semblaient abonder dans son sens. Ce n’est pas étonnant que l’Amérique délocalise ses emplois, avec une mentalité pareille.

Les supermarchés vendent de la vraie nourriture.
Oui, je sais, il y a enfin des supermarchés dignes de ce nom à Hong Kong, mais je vous dis pas les prix. Toutefois, le supermarché de votre quartier, comme le mien, n’est qu’un magasin où acheter des sodas, des trucs à grignoter et 200000 marques différentes de charcuterie industrielle. La règle d’or de ces supermarchés locaux est : Si c’est sain, de bonne qualité et à un prix raisonnable, on arrête de le vendre !
En comparaison, les magasins d’alimentation des pays civilisés sont de véritables cornes d’abondance qui dégorgent d’aliments sains, goûteux, qui donnent envie. Même la junk food est meilleure. Lors de ma dernière visite à ma sœur à Los Angeles, ma femme et moi l’avions informée que nous allions faire une petite balade à pied au supermarché local. A chaque pas que nous faisions dans les allées, nous étions figés par la stupéfaction. 15 types différents de farine complète ! Et si peu chères ! Laquelle acheter ? 30 soupes de légumes bio en conserve. Des briques de « Jus de fruits » qui contiennent… du pur jus de fruits ! Plus de choix de thés verts qu’en Asie. Des pains spéciaux, des types de pâtes, des épices, des friandises dont j’avais complètement oublié l’existence.
A l’heure où nous sommes rentrés, les bras endoloris d’avoir transporté des sacs en papier recyclables pleins à craquer d’articles d’épicerie, ma sœur était dans tous ses états.
— J’allais appeler la police ! Vous étiez partis depuis 3 heures !
Bien sûr, elle aurait pu appeler le supermarché pour leur demander si 2 clients n’étaient pas en train de se comporter comme s’ils venaient d’une autre planète… ou de Hong Kong.

La prochaine fois que vous voyagerez à l’étranger, répétez-vous ceci, un peu à la manière de Dorothée lorsqu’elle arriva au Pays d’Oz :
— Toto, je crois bien que nous ne sommes plus à Kowloon.

Larry Feign
Extrait de Hongkongitis traduit de l’anglais par David Magliocco
Décembre 2017

Larry Feign est l’auteur de Le monde de Lily Wong et de Aieeyaaa ! Apprenez le chinois à la dure parus aux éditions Gope

© illustration : Larry Feign, 2007

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