Livres ayant pour thème ou cadre l'Asie du Sud-Est

Hong Kong – Comme Roméo et Jiu Lee Yat

TEMPS DE LECTURE : 5 minutes.


L’emplacement des convives autour de la table de restaurant faisait penser à une guirlande de personnages en papier découpé : Chinoise + Occidental – Chinoise + Occidental – Chinoise + Occidental… Quasiment tous les Blancs que je fréquente à Hong Kong sont soit mariés soit en union libre avec une Chinoise, ou alors amoureux d’une Chinoise.

Je suis bien conscient que la réciproque, Chinois-Occidentale, existe. Si l’on fait abstraction des quelques couples gays et d’un ou deux mariages normaux que je connais, j’ai vu plus de spatules noires de Sibérie à Hong Kong que de couples Chinois + Occidentale.

Bien que nous vivions presque aux antipodes, qu’est-ce qui fait que l’un est attiré vers l’autre, comme le serait un babouin vers un cygne ? Le cliché, c’est qu’un certain type d’homme occidental, mal dans sa peau (traduction : un raté), fatigué des relations amoureuses modernes avec des femmes occidentales libérées (traduction : geignardes et arrogantes) où l’homme doit montrer ses sentiments, recherche la compagnie de petites Chinoises douces et soumises, de poupées au visage de porcelaine, aux cheveux couleur de réglisse et aux yeux en amande.

C’est une vue des choses tout à fait superficielle et une insulte à l’encontre de… bon, d’accord… la grande majorité des types que je connais ont cette approche. Mais qu’en est-il des Chinoises ? Douces ? La plupart du temps. Petites ? Certaines d’entre elles. Soumises ? C’est aussi vrai que la Terre est plate et que ma Rolex achetée 88 HKD n’est pas une copie.

Toutes les Chinoises mariées ou amoureuses d’un Occidental que j’ai rencontrées sont futées, vives, lucides, intelligentes, sûres d’elles ; elles n’ont pas peur de dire tout haut ce qu’elles pensent ni de gifler leur homme en public (qu’il le mérite ou non). Ces femmes ne s’en laissent pas conter, alors, il y a vraiment peu de chances qu’elles choisissent ce type de crétin qui désire une exotique Madame Butterfly.

Alors, qu’est-ce que ces Chinoises au caractère bien trempé recherchent chez un Occidental ?

Une explication plausible mais quelque peu bancale est qu’une Chinoise moderne et indépendante ne veut pas être opprimée par un Chinois chauvin qui n’a qu’un centre d’intérêt (l’argent, bien sûr, pas le sexe) et refuse de se faire houspiller et battre quotidiennement par sa belle-mère tant qu’elle n’aura pas pondu un petit morveux bien dodu qui sera pourri-gâté. Au lieu de cela, elle se jette dans les bras poilus d’un mâle fort mais sensible, un cow-boy romantique qui la traitera avec respect.

Néanmoins, si elles souhaitaient vraiment éviter d’avoir une belle-mère autoritaire, comment expliquez-vous que tant de Chinoises aient épousé des juifs, voire des catholiques ?

Ensuite, il y a l’explication psychanalytique, étayée par les croyances chinoises : selon un dicton asiatique, la taille du nez d’un homme est directement proportionnelle à la taille d’une autre partie de son anatomie qui intéresse les femmes. Et je ne parle pas de la pointure de ses chaussures !

Toutefois, la vraie question est : qu’est-ce qui fait que nous restions en couple après la découverte des yeux en amande et du grand nez (ou d’un autre appendice) ?

Après 25 ans d’étude approfondie du sujet, je peux affirmer avec certitude qu’un Occidental et une Chinoise n’ont absolument rien en commun. Les divergences commencent dès le réveil : vous lavez-vous les dents avant ou après le petit déjeuner ? Pour un Occidental civilisé et plein de bon sens, il semble complétement stupide de se brosser les dents avant le petit déjeuner : la nourriture n’aura plus aucun goût après le dentifrice et, ensuite, vous ferez profiter vos collègues de votre haleine chargée de relents de poisson séché pendant toute la journée. Pour une Chinoise raffinée, il semble complètement idiot de commencer la journée en en remplissant de mets que l’on vient de cuisiner une bouche encombrée de sucs gastriques ou de mucus, puis de tuer les délicats arômes qui s’y attardent avec une écœurante pâte édulcorée.

La douche pose un problème inverse. Tous les couples Occidental + Chinoise que je connais, que ce soit après 5 semaines ou 50 ans de vie commune, sont toujours en désaccord en ce qui concerne le moment adéquat pour se doucher : le matin ou le soir ? Si l’on suit la logique qui prévaut en Occident, une douche au lever du lit est parfaite pour se réveiller et vous donner de l’énergie pour la journée à venir. En revanche, selon la logique chinoise, une douche est supposée vous détendre et vous préparer au sommeil. Dit autrement, le système nerveux des Chinoises et des Occidentaux réagit différemment à l’eau, comme le sodium ou le potassium. La preuve que nous ne sommes pas seulement 2 races, voire 2 espèces différentes : nos structures moléculaires sont différentes !

La nourriture est une autre source de conflits ou d’amusement qui peut friser le sadomasochisme. J’adore la cuisine chinoise et je mange des plats, comme le congee avec des radis en saumure ou de la soupe de graines de sésame noir, qui dégoûtent certains Occidentaux. J’adore également la pizza, la cuisine mexicaine et les cornichons à l’aneth casher. Mais je peux me passer pendant une semaine, un mois, même trois mois s’il le faut, de nachos et à peu près aussi longtemps de pizza. Essayez donc de priver une Chinoise de riz pendant trois jours ! Une fois, j’ai eu l’occasion de voyager en Europe de l’Est avec une ressortissante hongkongaise que je ferais mieux de ne pas nommer. Je n’ai rien remarqué de particulier les premiers jours pendant lesquels notre régime alimentaire était à base de pommes de terre et… euh… de pommes de terre. Puis, rapidement, vous commencez à voir le tremblement des mains, puis l’insomnie, l’irritabilité. Au 10e jour, le stade de delirium tremens est atteint. Finalement, telle une personne mourant de soif dans le désert, elle arrive à laisser échapper un dernier râle : Du riz ! Un junkie peut toujours trouver un dealer lorsqu’il a désespérément besoin de sa dose. Seulement, en 1990, en Pologne, à Cracovie, où vouliez-vous trouver du poulet cuit à la vapeur avec son accompagnement de pak choï et de riz vapeur ?
On nous a dit que l’on mangeait du riz en Hongrie et que le prochain train pour Budapest partait 2 heures plus tard, ce qui était faisable si nous revenions dare-dare à l’hôtel pour récupérer nos bagages.

Un Occidental a la part belle : ce dont il a besoin en priorité – une bière – est disponible n’importe où, à l’exception, sans doute, du Sud Yémen et du Kansas, le dimanche. Mais quand vous voyagez avec une Chinoise, ne vous éloignez pas à plus d’une demi-journée de route d’un restaurant asiatique !
Les différences culturelles et moléculaires ne sont pas les seuls obstacles aux liaisons Occidental + Chinoise. Il y a aussi les parents.
Ça me rappelle une vieille blague juive :
— Maman, c’est moi, Hershel. Je t’appelle de Hong Kong. Maman, j’ai rencontré une fille géniale et nous allons nous marier.
— C’est formidable. Comment s’appelle-t-elle ?
— Rose Chang.
— La ligne doit être mauvaise. As-tu dit « Rosenstein ou Rosenberg » ?
— Chang, Maman. Elle est chinoise.
— Ah !… Euh… C’est formidable.
— Et juste après notre mariage, nous venons te rendre visite.
— Ah oui, bien sûr. Venez quand vous voulez. Vous serez chez vous ici.
— Mais ton appartement en Floride est si petit ! Où dormirons-nous, Maman ?
— Où veux-tu qu’un homme et une femme fraîchement mariés dorment ? Dans la chambre à coucher, bien sûr !
— Et toi, Maman, où dormiras-tu ?
— Hershel, mon bébé, ne t’inquiète pas. Il y aura toute la place que tu veux quand tu viendras, parce qu’une fois que j’aurai raccroché, j’irai me donner la mort.

Cette histoire met en relief une autre différence culturelle. Aucun parent chinois ne menacera de se suicider à l’annonce d’un événement aussi heureux que le mariage de son enfant. Un parent chinois sera plus pragmatique et voudra plutôt tuer le Gweilo. Lorsque ma future épouse a téléphoné chez elle des États-Unis pour annoncer ses fiançailles, la conversation a pris ce tour :
— Ah-ba, je lui ai dit « oui » !
— Il s’appelle comment ? Tu sais que tu ne peux pas te marier avec Chan, Wang ou Leung.
— Aucun problème, c’est un Occidental.
Sa réponse fut audible sans l’aide de l’écouteur, elle a traversé l’océan Pacifique dans toute sa largeur :
— AAAAAAAAAAAAAAAAAH !?…
Après une pause :
— JE VAIS LE TUER !
— Mais, Ah-ba, il est américain.
Une autre pause, suivie d’une illumination :
— Bon d’accord, tu commences par obtenir ton passeport américain et après, je le tue !

Alors, comment expliquez-vous ce phénomène des mariages Occidental + Chinoise ? Aucune raison logique ne peut expliquer notre attraction mutuelle. Nos familles, même si elles font semblant de l’accepter, regrettent au plus profond d’elles-mêmes que nous n’ayons pas épousé un gentil petit gars/une gentille petite fille du coin. On pourrait énumérer une foultitude d’autres raisons expliquant l’incompatibilité de nos deux races. Et pourtant, un très grand nombre d’entre nous tombent amoureux, se marient et, contre toute attente, restent mariés. Ça vous intéressera probablement de savoir que le taux de divorce de ce genre de couple est plus bas que la moyenne.

Peut-être est-ce le fait d’être si différents qui nous lie ? Après tout, au bout de 20 ans, quels sujets de conversation pourraient avoir les couples issus du même milieu ethnique, culturel et géographique ? Ils ont trop de choses en commun, leur conversation est forcément sans intérêt. Les couples interraciaux n’ont pas la même langue maternelle. La syntaxe de leur pensée profonde est étrangère à l’autre. Et c’est une bonne chose !
Lorsqu’un couple Blanc + Chinoise se chamaille, nous présumons que c’est un problème de grammaire, de culture, quelque chose tout droit sorti d’un livre d’anthropologie. Ce n’est pas vraiment nous qui trompons l’autre, lui manquons de respect ou le méprisons, c’est notre culture, comme Montaigus et Capulets. Quand nous nous disputons, nous sommes Roméo et Juliette incarnés : nous sommes les plus grands amants de tous les temps.

J’ai fait part de cette réflexion à mes amis, au restaurant. Les hommes opinèrent tous et prirent leur épouse par l’épaule. Celles-ci froncèrent les sourcils et répondirent :
Chi sin ! Juliette n’était pas chinoise !
Vive la différence !

Larry Feign
Extrait de Hongkongitis traduit de l’anglais par David Magliocco
Janvier 2018

Larry Feign est l’auteur de Le monde de Lily Wong et de Aieeyaaa ! Apprenez le chinois à la dure parus aux éditions Gope

© illustration : Larry Feign, 2007

Maison d’édition indépendante ayant pour vocation de faire découvrir la Thaïlande, Hong Kong, la Malaisie, l'Indonésie, le Cambodge... par le livre

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